Nos romans préférés

Voici les romans que nous avons aimé, les derniers chroniqués sont les premiers, bien qu'ils n'aient pas grand chose à voir avec Jean-Jacques Goldman. Il ne reste qu'à picorer.

La variante chilienne des poupées russes

Après la Fractale des Raviolis, exercice littéraire aussi original que bien exécuté, on attendait Pierre Raufast au tournant pour son deuxième roman, et le pari est réussi ! De son premier roman, on retrouve le meilleur : des anecdotes, qui, malgré leur diversité, s'enchaînent avec une efficacité redoutable, et surtout, le caractère hautement jubilatoire de ces histoires. C'est en effet une des constantes de Pierre Raufast : il a une capacité incroyable à inventer des récits absurdes mais géniaux, revisitant l'Histoire de Jeanne d'Arc à Jorge Luis Borgès, soulevant les questionnements les plus saugrenus, sans jamais tomber dans la caricature.
On commence l'histoire avec Pascal, professeur de philosophie vieillissant, accompagné de Margaux, adolescente hantée par un passé récent. Ils aspirent désormais au calme, mais leur semblant de tranquillité va bientôt être ébranlé par leur rencontre avec Florin. Privé de ses émotions et des souvenirs liées à celles-ci, Florin collectionne les cailloux, témoins tactiles de sa mémoire perdue. Leur seul toucher lui permet de se rappeler avec exactitude les instants qui auraient dû le marquer naturellement. Et il les raconte comme des faits divers, aucune émotion ne transparaît jamais, tandis que nous, lecteurs, sommes, au contraire, animés par un flot de sentiments multiples, passant du dégoût, lorsque l'on rencontre des fossoyeurs aux pratiques douteuses, à l'adrénaline d'une partie de cartes qui n'en finit plus.
Pierre Raufast, en véritable conteur moderne, a le don de réinventer un univers que l'on croyait connaître par cœur, de faire de détails du quotidien des éléments de découverte constante, de la même manière qu'il transforme Pac-Man en quête existentielle. Et il nous offre même une philosophie de vie à travers ses personnages, en restant toujours d'un optimisme à toute épreuve, faisant de La variante chilienne une nouvelle perle de fantaisie, un petit bijou de bonne humeur, qui surgit parmi les autres romans comme le premier rayon de soleil après une décennie entière de pluie.


15,50

Un nouveau roman d'Annie Ernaux est toujours un événement littéraire ! Et cette fois-ci d'autant plus qu'elle explore les deux années, entre ses 18 et 20 ans, qui feront d'elle l'écrivain qu'elle est devenue.
Annie D n'a pas encore 18 ans lorsqu'elle quitte le cocon familial pour le première fois : elle va être monitrice pour enfant, pendant deux mois, loin de chez elle. En 1958, pour cette bonne élève, demie-pensionnaire (car elle rentre manger chez maman!), élève dans une institution catholique (non mixte évidemment), découvrir la liberté totale, le mixité, la sexualité, l'alcool... tout à la fois, quel choc ! Quel amusement mais aussi quelles erreurs dont elle gardera les stigmates longtemps, dont elle aura du mal à se remettre.
Annie Ernaux tente d'approcher au mieux la jeune fille qui fut elle autrefois grâce à un subtil mélange entre je et elle, parce que cette Annie n'est pas elle mais elle l'a été et a façonné l'Annie d'aujourd'hui, sans doute une des plus grandes écrivaines françaises.


10,40

D'abord, il y a le patriarche, Eli, enlevé puis élevé par les Indiens, avant de revenir vers le monde des Blancs et de devenir le plus grand propriétaire de ranch du Texas puis le plus grand magnat du pétrole. Ensuite il y a le fils, qui ne comprend pas le monde de la Frontière et sa sauvagerie. Enfin, il y a l'arrière-petite fille, très riche héritière d'un monde qui se délite mais qu'elle ne parvient pas à réparer. Sans doute parce qu'il n'y a plus rien à réparer : les valeurs qui ont dominé ce monde de cow-boys ont disparu, la terre est devenue stérile à force de sur-exploitation, le pétrole s'épuise peu à peu... A travers cette grande fresque sur l'histoire du Texas, Philipp Meyer nous brosse un portrait de l'Amérique et même de l'Occident en général.
Un roman qui donne de l'épaisseur à l'Histoire et qui raconte l'effondrement de ces cultures qui épuisent peu à peu ce sur quoi elles ont grandi et prospéré.


20,00

Nel et Matt, deux quadragénaires, se lancent dans la réalisation d'un documentaire sur une boîte de nuit mythique de province dans les années 70 et 80. Mais de fil en aiguille, ce documentaire se dirige vers l'histoire de deux frères à la trajectoire éphémère. Et c'est finalement vers leur histoire à eux qu'ils reviennent : des hommes qui vivent à la campagne mais ne vivent pas du sol, des rurbains en somme. Quels liens entretiennent-ils avec le monde rural, leur milieu d'origine ? Qu'advient-il de ses espaces qui ne sont plus exploités ? Comment ces campagnes ont-elles évolué vers la rurbanité ?
Un magnifique roman qui explore les liens entre les hommes et leur cadre de vie, des années 70 à nos jours. Un roman important sur une certaine France. Un jeune auteur en passe de devenir un grand comme nous l'avait fait pré-sentir son précédent ouvrage, Les Grands.


Actes Sud

26,00

La musique endurcit les moeurs

Confiteor est une confession, celle d'un homme, Adrià, qui perd ses souvenirs et qui décide de les partager une dernière fois avec son ami, Bernat, avant qu'ils ne disparaissent définitivement. Or, toute l'existence d'Adrià tourne autour d'un même objet : un violon. C'est une véritable passion, presque destructrice, qu'entretient Adrià avec le précieux instrument, pour lequel il trahira tout, y compris la femme de sa vie, Sara, véritable destinataire de ce récit confessionnel.
En effet, le véritable héros de ce roman est le violon plus que l'homme qui l'a possédé ou que tous ceux qui l'auront fabriqué, touché ou seulement convoité. On se retrouve ainsi au cœur d'une fresque historique grandiose, d'abord en pleine Inquisition, quand le bois dans lequel le violon sera taillé est encore à l'état d'arbre, on voit ensuite l'instrument traverser la dictature Franquiste, la Seconde Guerre Mondiale, avant de connaître enfin l'apogée de son pouvoir sur les hommes quand il rentre dans la vie d'Adrià ; car si ce violon est exceptionnel, ce n'est pas seulement grâce au bois dont il est fait, sa facture, ou sa musicalité, mais parce que cet instrument et taillé dans les passions humaines.
Jaume Cabré n'hésite pas à nous questionner sur cette humanité, sur le Mal profond qui la ronge, confondant les genres avec autant de talent que les intrigues ; car littérairement, Confiteor est aussi exceptionnel que l'instrument de musique dont il retrace l'histoire. Outre son intrigue complexe, la richesse de Confiteor s'observe aussi sur la forme. Jaume Cabré transgresse les lois de la narration pour mieux la réinventer. Il a le don de passer d'une période historique ou d'un point de vue à un autre, parfois dans la même phrase, avec une facilité déconcertante, et ce sans jamais perdre son lecteur. C'est sans doute ce qui rend l'exercice de style fascinant – d'autant plus quand il est réalisé à la perfection.