Noir de Polars

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fondu de polars et de romans policiers classiques sans débauche d'hémoglobine.

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15 mars 2012

Au sommet de l'art-go

Cet essai date de 1966, coincé entre deux écritures de scenarii, ceux de « La métamorphose des cloportes » de Pierre Granier-Deferre (1965) et du « Pacha » de Georges Lautner, starring Jean Gabin et music by Gainsbourg (1967). Coincé sans doute, car très court, coincé mais ô combien délicat et délicieux pour cézigue dont le tympan frétille d’excitation au parlé marloupin.
La forme n’est pas celui de la lettre ouverte. Il s’agit d’un dialogue, qu’on imagine volontiers tenu une fin d’après-midi dans un bar des Champs, entre l’auteur, méfiant, provocateur, ironique, et un truand entre deux âges. Truand à la Ventura, franc, affectueux, mais la tête près du bonnet, la pogne gauche retenant celle de droite, la directe, d’empaffer le barbouilleur de pages vierges qui lui fait face.


Le fond de l’essai, le message qu’a voulu faire passer Simonin, c’est que le malfrat est bien loin, dans la réalité, de l’être pur, droit, franc, fidèle en amitié, correct quoique volage en amour, muet comme la carpe lorsque par obligation il fait un stage à la maison poulaga : « t’as entendu parler de la crampe du poignet chez les perdreaux, comme nouvelle maladie professionnelle ? (…) Ils tiennent plus les interrogatoires, les tiges, faut qu’ils se relaient à la machine à écrire tant le truand devient prolixe, raconte sa vie et celle des autres ».
Le dialogue qui forme cet essai, c’est donc celui d’un truand de cinoche, beau gosse sur le retour mais viril, oh là là, qui croit encore et toujours à un tas de trucs popularisés par Gilles Grangier & Co, face à un Albert Simonin qui lui assène ses quatre vérités : « Dis donc, innocent, je reproche, t’en es encore aux Mystères de Paris avec tes secrets du mitan. T’es l’ultime à y croire. Si je te laisse batifoler dans le légendaire, en moins de jouge, tu vas me placarder la loi du silence ! ».
Délice verbal, plaisir immense de lire une langue argotière si bien rendue, cet essai nous enivre d’air des faubourgs. A ne manquer sous aucun prétexte ! Quand on pense que certains (surtout certaines d’ailleurs) ne jurent que par Stephen King et sa littérature d’aéroport chic mais vide, je les plains sincèrement s’ils n’ont pas encore découvert la richesse qui se dégage de cette gare de banlieue là.
J’irai même jusqu’à l’élever aux cimes, ce bouquin, le poser piédestal, le maçonner palladium, l’éterniser fanal. Si t’as jamais lu du Simonin, t’as pas vraiment vécu…

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12 mars 2012

Un très grand roman. Très long, aussi…

Il s’agit d’un très grand livre, au sens littéraire du terme. Je ne sais s’il fut bien écrit, mais la traduction de Clément Baude est en tous points remarquable, la langue est poétique à souhait, les mots sonnent juste… Presque un long poème qui vous berce durant de longues pages.

C’est l’histoire d’un jeune polonais nommé Leszek, qui voudrait bien savoir pourquoi son ami a été assassiné dans la forêt, et qui ne comprend, ni la lenteur voire l’apathie des policiers à rechercher le coupable, ni le silence des témoins possibles, de tous ceux qui l’ont connu alors qu’il était parti chercher fortune à la ville.

La vision de la Pologne postcommuniste est poignante, désespérée. J’ignore si elle est réelle ne connaissant pas ce pays, mais une chose est certaine, l’impression retirée ne ressemble pas du tout à celle d’un prospectus d’agence de voyages. La Pologne décrite s’assimile à un no man’s land et surtout à une terre de no future.

La tonalité, même pas noire mais gris sale, sale gris, du roman a-t-elle réussi à me cadavériser le cervelet définitivement ? Peut-être… La vérité est que je me suis profondément ennuyé lors de cette (très longue !) lecture. Ah que j’ai aimé terminer enfin, at least, ce bouquin. Oh que je suis certain de ne jamais, plus jamais, faire l’effort considérable de le relire tant elle m’a coûtée, cette lecture là.

Alors que doit-on dire d’un roman qu’on estime honnête de devoir (le devoir !) considérer comme très grand alors qu’il vous a appris le courage, qu’il vous a enseigné la volonté de tenir jusqu’au bout, qu’il vous a barbé mais avec style ? Comment le noter ? Avec sa raison ou avec ses tripes ?

Conseil. Achetez-le, c’est un grand, un très grand roman. Ne le lisez cependant pas, mettez-le plutôt bien en évidence dans votre bibliothèque. Vous aurez fait une bonne action, c’est déjà ça…

Maigret et le corps sans tête

Le Livre de poche

6,90
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7 mars 2012

Une femme d'une espèce à sang mort...

L’écluse des Récollets, canal Saint-Martin, là même ou Louis Jouvet voulut changer d’atmosphère au grand dam d’Arletty, juste à côté de l’écluse dite des morts, lieu magique de la grande faux parisienne, scène fameuse du boulevard du crime qui n’est pas si loin à l’époque où le roman est publié en 1955.

Non loin de là, un café, un pauvre troquet tenu par un couple. Bien assorti ce couple ? Comment le savoir, puisque l’homme y manque, et que les restes humains en voie de putréfaction retrouvés dans l’eau du canal pourraient bien lui appartenir ?

Bizarre, la bistrotière, cette Aline Calas. Comme absente… Alcolo-dépendante, ça ne fait aucun doute, mais pour le reste, pas facile à deviner. Est-elle belle ? Plus vraiment. L’a-t-elle été plus jeune ? Sans doute. Le commissaire subit-il en quelque sorte son charme revêche ? Oui, on peut le croire..

Et c’est de là que tout part, que tout s’enchaine. Cette femme-là ne peut être ce personnage-ci. Son apparence trompe son monde. Maigret, en psychologue averti, la cerne, pénètre le secret de son âme.

Grand duel à la Simenon entre Maigret le placide, le finaud, le ruminant, et une femme qui a choisi de ne pas suivre le chemin qui lui était tracé, qui a opté pour le pire, qui s’est tricoté sa vie à elle. Cherchez la femme ! Adage policier fameux que Maigret applique presque toujours, et souvent avec succès.

Et Simenon, ce qui chagrinera nos pétroleuses et on les comprend, peint souvent la femme en noir. Quelques exceptions cependant : madame Maigret, serviable et très comme il faut ; la jeune semi-p... de l’Ombre chinoise pour laquelle il a de la tendresse ; la Grande perche, autre professionnelle qu’il apprécie. Mais, il faut bien l’avouer, les femmes pour Simenon ce sont souvent des monstres.

Pas Aline Calas. Ce n’est pas un monstre, c’est une espèce à sang mort à part dans un monde mi-construit., mi-subi. Encore une fois, le charme de l’ambiance « Canal Saint-Martin » opère à plein, et si Maigret apparait passif dans cette enquête, c’est sans doute la puissance de sa réflexion qui force les évènements.

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3 mars 2012

De l'écriture au kilomètre

Et revoici SAS le prince Malko ! Il nous revient avec le cent quatre-vingt onzième volume de la série. Oui, vous avez bien lu, 191 ! Avantage d’un nombre impressionnant, il permet de ne pas douter d’un succès qui ne se dément pas. Inconvénient, se transformer en producteur d’écriture au kilomètre…
Le même héros, Malko Linge, contractuel de luxe à la C.I.A, s’escrime depuis maintenant plusieurs dizaines d’années à enquêter pour le compte des services secrets ricains et à faire fonctionner ses deux engins de légende : son pistolet extra-plat contre tous les méchants, et un autre engin dont la nature l’a doté envers les belles.


Et, comme le chante Laurent Voulzy, « c’est toujours la même histoire ». Les fous de Benghazi mettent en scène le Prince, chevaleresque comme il se doit, beau, bronzé et tout et tout, un mannequin attirée par les yeux d’or de notre héros mais maquée avec l’héritier de l’ancienne famille royale libyenne, le barbouze ricain-chef, froid comme il se doit, le barbouze-ricain opérationnel, boy-scout, le méchant très très méchant, islamiste bien entendu.
Tout ceci donne une soupe qui n’est pas indigeste (grâce à la fluidité de l’écriture) mais qui ne présente strictement aucun intérêt, excepté de nous faire entrevoir que le populo qui se bat pour sa liberté est toujours le jouet armé d’un parti ou d’une classe : ce fut le cas des sans-culottes qui roulèrent sans le savoir pour la bourgeoisie en 1789, c’est aujourd’hui le sort de l’arabe moyen qui éjecte son dictateur pour le compte des mollahs.
Qu’on est loin, mais alors bien bien loin des premiers SAS écrits par Gérard de Villiers himself, et qui présentaient des intrigues qui se tenaient, mêlaient plutôt bien actualité, humour, découverte d’un pays et suspense. L’argent gagné à la sueur de sa frappe sur le clavier, c’est respectable, l’entreprise de copié-collé pour une production trimestrielle, moins.

Le Chien jaune

Le Livre de poche

6,90
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21 février 2012

A la table des ratés...

Mostaguen, un notable de Concarneau est grièvement blessé d’un coup de révolver, alors qu’il rentrait paisiblement chez lui, de retour du bar-restaurant-hôtel « L’Amiral » qu’il fréquentait. Seul témoin du meurtre, un chien d’un jaune sale, de la couleur des chiens de personne.

Appelé sur les lieux, Maigret commence son enquête par ce fameux bar. Les clients en sont aussi des notables, des types semble-t-il à l’aise, des gens du type de ceux qu’on écoute.


J’ai lu de mauvaises critiques sur ce grand classique de Simenon : l’un trouvait que le livre datait, l’autre regrettait de ne pas retrouver l’ambiance Agatha Christie. Eh oui, ma bonne dame, Simenon n’a (heureusement, de mon point de vue) rien à voir avec l’auteur d’énigmes à la chaine bien connue. Simenon, c’est l’intérieur, l’interne humain, pas le cheveu oublié sur l’oreiller, cheveu qui prouve que, décidemment non, la victime n’était pas chauve !

J’ai lu aussi parlant de Simenon (elle s’appelle Lune, joli, non ?) « Vous nous ouvrez la porte de l'Hôtel de l'Amiral, nos narines reçoivent les odeurs de tabac, d'alcool, de bière, de repas tristes et gras. Nous épions, tapis sans être vus, une frange misérable de la population, les regards sournois de quelques notables dont nous devinons la laideur sous leur dehors de bien-pensants de petite ville de province où chacun se sourit, se déteste, magouille lâchement. Nous suivons Maigret, nous approuvons sa placidité et sa non-méthode qui, en fin de compte, en est une, la sienne ». En voilà au moins une qui a tout compris.

Simenon, ça se mâche, surtout à Concarneau, par la pluie qui remplit ce pot de chambre. Les hommes, leurs défauts, leur lâcheté, leur petitesse, ça se déguste en connaisseur. Ils sont vrais, ni héroïques ni dignes d’admiration, ils existent, tout simplement.

Autre aspect remarquable du roman, l’opposition entre l’intelligence sensitive de Maigret et la méthode plus « jugulaire-jugulaire » de son adjoint, apprise à l’école de police et répétée sans génie, la méthode à la mode de nos jours, faite d’indices, de preuves matérielles, de matériel tout simplement, qui ne permet pas de comprendre les ressorts d’une affaire mais de remplir les tôles françaises, si accueillantes comme chacun sait…

Lorsqu’Arletty s’indignait de paraître avoir une gueule d’atmosphère, c’est peut-être (peut-être seulement, hein ?) au « Chien jaune » qu’elle pensait, car ce bouquin, c’est de l’atmosphère mer saline, pluie sale, réflexes petits, trouillards-combinards, c’est de l’atmosphère d’exception, un des très grands écrits du Maître Georges.