Voir l'invisible, Histoire visuelle du mouvement merveilleux-scientifique (1909-1930)
EAN13
9791026711896
Éditeur
Champ Vallon
Date de publication
Collection
Détours
Langue
français
Fiches UNIMARC
S'identifier

Voir l'invisible

Histoire visuelle du mouvement merveilleux-scientifique (1909-1930)

Champ Vallon

Détours

Indisponible

Autre version disponible

Le présent ouvrage, intitulé Voir l’invisible. Histoire visuelle du mouvement
merveilleux-scientifique (1909-1930) est issu d’une thèse de doctorat,
récompensée par le prix SHS PSL 2020 dans la catégorie « Arts, esthétique,
littérature ». Il a pour objet l’étude de la construction historique et
sociale du regard, c’est-à-dire, à la suite des travaux de Michael Baxandall
sur le period eye, la façon dont l’histoire et les discours conditionnent les
manières de voir. Il vise, à cet égard, à reconstruire le « régime scopique »
(modèle optique, théorique et pratique, dominant à une époque donnée) du
passage du XIXe au XXe siècle, en n’utilisant non plus comme les historiens de
l’art des œuvres artistiques, mais en jetant son dévolu sur une Atlantide
littéraire du nom de merveilleux-scientifique. Pour ce faire, l’ouvrage s’est
construit autour de trois régimes scopiques majeurs, à même de faire sentir au
lecteur l’ambition panoptique des Français entre 1890 et la fin des années
1930. Chacune de ces trois grandes scansions (« voir au-dedans », « voir au-
delà », « voir l’envers ») a été rapprochée de l’un des modèles littéraires
qui a participé à l’édification du corpus merveilleux-scientifique : le roman
expérimental, le mystère scientifique et le merveilleux moderne. Ce mouvement
littéraire, souvent confondu avec la science-fiction ancienne, a connu son
acte de baptême en 1909, quand l’écrivain Maurice Renard publie un premier
texte-manifeste qui vise à rompre avec Jules Verne et Albert Robida, tout en
se reconnaissant d’autres ancêtres ou homologues, comme H. G. Wells, J.-H.
Rosny aîné ou Edgar Allan Poe. L’appellation donnée au mouvement montre
d’autant bien son intrication intime avec la culture médiatique et technique
dont il est issu. Elle désigne d’abord un processus de normalisation du
surnaturel. À la même époque, en effet, de nombreux savants comme Camille
Flammarion ou le couple Curie sont de fervents spirites et assistent aux
séances de tables tournantes. Pour eux, ces phénomènes surnaturels, qui
défient la raison, ne sont que de la science non encore expliquée. Cette
formule désigne aussi la possibilité d’un réenchantement du monde par
l’exploration scientifique d’univers invisibles, comme ceux de l’infiniment
petit ou de l’optique physiologique, qui familiarisent le public avec des
réalités jamais vues auparavant. De fait, les récits merveilleux-scientifiques
ne se déroulent pas dans un futur éloigné et ne ressentent pas le besoin
d’amener le lecteur en des contrées exotiques. Il leur suffit de lui faire
éprouver un voyage immobile, reposant sur une hypothèse absolument crédible.
En effet, dans le cadre rationnel du présent familier du lecteur, une seule
loi physique, chimique ou biologique est modifiée ou inventée, de sorte à
proposer un roman en tout point logique, à l’exception de cette prémisse
extrapolée. Dans ces textes, les héros se voient soudainement capables de
traverser la matière (Maurice Renard, « La Singulière destinée de Bouvancourt
», 1909), de lire les pensées (Paul Féval fils et Henri Boo-Silhen, La Lumière
bleue, 1930), de vivre sous l’eau (Jean de La Hire, L’Homme qui peut vivre
dans l’eau, 1909), tandis qu’ils assistent à une scène venue du passé (Marcel
Roland, « Sur le mur », 1913), photographient les auras (Alex Coutet, Le
Miroir de l’invisible, 1921) ou voyagent sur Mars par la force psychique
(Gustave Le Rouge, Le Prisonnier de la planète Mars, 1906). Le mouvement
merveilleux-scientifique n’a jamais fait l’objet d’aucun essai, encore moins
universitaire. Il est resté confiné dans les mémoires d’amateurs de récits
d’imagination scientifique anciens, disséminé sur les étals de bouquinistes,
grand absent des rayonnages de bibliothèques. La rédaction de cet ouvrage a
donc épousé une méthode archéobibliographique, à contre-courant de l’histoire
littéraire officielle, prenant en cela la suite du travail débuté par les
érudits de science-fiction dans les années 1970 et poursuivi encore
aujourd’hui par plusieurs encyclopédistes comme Guy Costes, Philippe Mura et
Joseph Altairac, ou anthologistes, comme Serge Lehman. Pour cela, ce travail a
pris la forme d’une chasse aux trésors, doublée d’une enquête dans les
profondeurs du roman populaire, attentive à remonter la piste de ces romans
oubliés, qui pour beaucoup ont connu de nombreuses éditions, en feuilletons,
fascicules et romans à leur époque. L’une des fondations de ce travail a été
de discuter la simplification qui voudrait que la littérature de merveilleux-
scientifique soit seulement une forme de « science-fiction archaïque ». Le
mouvement merveilleux-scientifique, en effet, n’a pas été un épisode
anecdotique dans l’histoire littéraire et artistique du début du XXe siècle et
il est nécessaire de le distinguer d’autres phénomènes étrangers comme la
science-fiction américaine, qui ne sera d’ailleurs appelée comme telle par
Hugo Gernsback qu’en 1929. Il a aspiré à faire école, comme en témoignent les
nombreux manifestes écrits par Maurice Renard, et les combats littéraires
menés par ses principaux membres, souvent réunis en comités ou en
associations. Ce faisant, cette étude permet de révéler les ramifications
nombreuses qui ont participé à la constitution du champ merveilleux-
scientifique, qui touche autant au roman fantastique, qu’au roman populaire ou
au roman scientifique, tout en éclairant les raisons de son occultation. Il
soulève tout autant l’intérêt du public généraliste puisque celui-ci est
chaque fois étonné de découvrir qu’avant René Barjavel ou Régis Messac, la
France a mis au monde d’autres auteurs d’imagination scientifique, aujourd’hui
oubliés, et dont une cinquantaine de noms est mis à l’honneur dans l’ouvrage.
Il devient alors possible d’utiliser l’abondant corpus merveilleux-
scientifique comme document historique de premier choix, afin de raconter la
frénésie panoptique (tout voir, mieux voir) qui étreint les Français peu de
temps après la découverte des rayons X et le développement du cinématographe,
en 1895. En sa qualité de récit d’imagination scientifique d’un genre nouveau,
il enrichit l’histoire des sciences et techniques car il témoigne avec
vitalité des transformations opérées en sciences et en pseudosciences de
l’invisible à la même époque. En effet, de nombreux auteurs (André Couvreur,
Raoul Bigot, Octave Béliard, etc.) étaient ingénieurs ou médecins et
utilisaient le roman comme un espace d’extrapolation, de potentialités. La
démarcation nette d’avec Jules Verne (Maurice Renard disait vouloir le «
démolir »), suppose que le roman se fasse laboratoire scientifique dans lequel
observer les conséquences de découvertes imaginaires, tout comme Émile Zola se
plaisait à étudier l’influence du milieu sur ses personnages. Grands lecteurs
de revues de vulgarisation, ces écrivains puisent directement l’inspiration
dans les découvertes contemporaines (persistance rétinienne, greffes, radium).
Ils sont aussi mâtinés de spiritisme et d’occulture et suggèrent que le
surnaturel (télépathie, quatrième dimension, métempsychose) pourrait bientôt
trouver une explication scientifique. Enfin, cet ouvrage, accompagné de 80
illustrations, déborde les limites habituelles de l’histoire de l’art pour
souligner la nécessité du développement d’une histoire des arts et de l’image.
L’intérêt tout particulier accordé aux illustrations, à la petite imagerie, à
la culture médiatique, à la publicité suggestive et à tout ce qui compose les
études visuelles, souligne la nécessité d’un renouveau dans le champ de
l’histoire de l’art, au contact des cultures visuelles et de l’archéologie des
médias, dans le but de construire enfin une histoire du regard qui n’occulte
plus la culture populaire comme c’est trop souvent le cas dans les ouvrages
d’histoire de l’art. L’étude matérielle des sciences et techniques invite elle
aussi à une recherche faite de turbulences, de marges et de sentiers
inattendus. Elle a permis, dans cet essai, d’étudier des médias rêvés,
oubliés, laissés pour compte, en retard ou trop en avance sur leur temps :
psychographe, ondogène, électroscope, condensateur psychique, etc. En mettant
la transdisciplinarité au cœur de son propos, Voir l’invis...
S'identifier pour envoyer des commentaires.